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3 décembre 1989 7 03 /12 /décembre /1989 02:55
Située à l'extrême sud de la Tchécoslovaquie à la limite de l'Autriche et de la Hongrie, Bratislava, aussi appelée Pressbourg, était autrefois une cité importante commercialement. De par sa situation stratégique sur le Danube, au confluent d'axes routiers et fluviaux, elle avait même acquis un rôle politique en devenant après l'invasion des Turcs en 1541, la capitale de la Hongrie.

Mais, ces dernières années, la capitale de la Slovaquie était en passe de devenir un "cul de sac" économique, en même temps qu'un désastre touristique. En effet, communisme et orthodoxie aidant, les relations avec l'Autriche et même avec la Hongrie (voyages privés limités à deux par an), se sont réduites au minimum. L'industrialisation menée de façon assez anarchique par le pouvoir, s'est accomplie au détriment de l'environnement et des sites historiques. Celui qui passe à Bratislava en venant de Prague pourra admirer la redoutable efficacité des urbanistes qui leur a fait choisir pour tracé de l'autoroute - la seule qui existe dans le pays - le lieu précis de l'ancien quartier historique, à quelques centaines de mètres du vieux Burg datant du Xe siècle, et au ras de la cathédrale. Tant pis pour les vitraux qui tremblent à chaque passage des 38 tonnes ! De même si aujourd'hui quelques tentatives de réhabilitation ont été engagées, l'état des maisons typiquement hasbourgeoises ne cesse de se détériorer.

Aussi aujourd'hui, à Bratislava, tout le monde espère de l'ouverture des frontières avec l'Autriche qui a succédé à la libéralisation du transit avec la Hongrie. D'abord bien sûr à titre personnel, ensuite parce que chacun en attend une bouffée d'oxygène pour la vieille cité. En effet, quel autrichien, parfois d'origine slovaque, ne se laisserait tenter par cette proximité de 65 kms, pour un coût de vie de trois à six fois moindre en moyenne ? D'abord à titre privé, travailler à Vienne et vivre à Bratislava, c'est un peu comme avoir le beurre et l'argent du beurre. Ensuite, installer des usines à Bratislava pour un industriel autrichien tient du rêve, toutes proportions gardées, d'avoir un petit Taïwan à sa porte : main d'oeuvre qualifiée, salaires plus bas.

Mais cette situation de brusque ouverture, risque de produire des effets pervers pour la population et d'être uniquement à sens unique. La crise du logement ici, n'est pas qu'un slogan. Elle est bien là. Dernièrement, sur deux appartements disponibles pour 20 demandes, un a été attribué à un vieux couple…ils l'attendaient depuis 15 ans. Ensuite, si l'offre de biens de consommation sera plus satisfaisante, les prix risquent d'accélérer leur augmentation, à la manière du scénario hongrois,… même si officiellement ici l'inflation n'existe pas.

Aussi, après les libertés politiques en passe d'être arrachées somme toute assez rapidement ; les experts économiques indépendants se penchent  d'ores et déjà, sur la question plus délicate de redresser l'économie. Le retour à Bratislava d'antan n'est pas pour demain.

(article paru dans le Quotidien de Paris, le 3 déc 1989)
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2 décembre 1989 6 02 /12 /décembre /1989 03:08
La télévision tchécoslovaque a retrouvé aujourd'hui sa fierté d'être et sa légitimité. Après, la retranscription faussée de l'intervention policière du 17 novembre - les manifestants étant présentées comme des hooligans, ce qui avait tout autant que les faits eux-mêmes, alimenté la colère des étudiants - elle a pris un virage à 180 degrés. Il faut dire qu'elle revient de loin. Dépendant directement du parti, ses directeurs étaient soigneusement choisis parmi les membres de la nomenklatura. Les programmes étaient conçus pour éluder toute contestation et contribuer à "l'éducation socialiste des masses". Au mépris parfois de la concurrence naturelle. En effet, de par sa situation géographique où de n'importe quel point du territoire, une frontière n'est distante que de moins de cent kilomètres, la Tchécolovaquie est un pays privilégié. Les postes étrangers les plus écoutés sont les télévisions autrichienne et hongroise, une grande minorité de la population parlant toujours le hongrois ou l'allemand. Cette télévision hongroise qui a souvent fait les frais de l'ire du gouvernement de Prague, pour ses reportages, un tantinet provocateur, sur le printemps 1968, sur Dubcek…

Depuis une semaine, les émissions sont à la fois plus fournies et l'actualité plus objective. La "langue de bois" a été remisée au placard, même si la radio inter-programmes à Prague, destinée aux étrangers, continue à donner des informations soigneusement édulcorées. La reconquête du public a aussi commencé. Reportages, débats, commentaires de l'actualité… se succèdent à un rythme allant parfois jusqu'à 10 heures par jour. Mais, rien ne sert de regarder le programme dans les journaux. Il n'est quasiment jamais respecté ! Même pour les films. En effet, le ministère slovaque de la Culture a depuis mardi dernier, levé l'interdit sur les films dits bourgeois. Et ce sont des kilomètres de films qui sont désormais disponibles et que redécouvrent les téléspectateurs.

Phare de cette nouvelle interactivité, l'émission DIALOG diffusée en direct, met face à face pendant près de deux heures, représentants de l'opposition, du parti communiste et de simples citoyens sur un sujet encore tabou hier : la censure, la police…. Il semble que les journalistes aient réussi à reprendre les rênes d'un pouvoir qu'ils avaient depuis 21 ans perdu. A la radio, même si les structures demeurent, une commission de coordination des programmes, composée de douze personnes, 11 journalistes (5 représentant le PC, 6 l'opposition) et le directeur, a été mise en place pour changer les programmes et l'actualité. A la télévision, le changement est plus radical puisque Miroslav Pavel, ancien porte parole du gouvernement en 68/69, réintégré dans le Parti en 1984, a été nommé mardi dernier au poste de directeur ; et qu'une réforme, dont un des points fondamentaux est la décentralisation et la transformation de la 2e chaine en une chaine régionale, devrait intervenir en janvier prochain.

(article paru dans le Quotidien de Paris, 2 décembre 1989)
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2 décembre 1989 6 02 /12 /décembre /1989 02:58
Si dans les grandes villes (Prague, Bratislava, Brno…) le mouvement a atteint un point de non retour dans sa force et sa capacité d'organisation, en province la situation est quelque peu différente. Les campagnes n'ont été que peu informées. L'enjeu de la lutte pour la démocratie repose là plus que jamais sur le pouvoir de l'information.

Aussi, étudiants et acteurs, les deux groupes leaders du mouvement d'opposition, parcourent depuis dix jours le pays. Plus ils avancent vers l'est, vers l'Union Soviétique, moins les gens sont informés; un décalage que certains observateurs estiment à trois jours au moins. Entassés à trois ou quatre par voiture, ils informent les habitants des villages, discutent avec les ouvriers et les paysans, ou apportent du matériel d'information aux groupes locaux de l'opposition qui se sont spontanément formés. Une mission qui n'est pas encore dénuée de tout risque. Ainsi à Novesamski, un étudiant a été arrêté samedi par la police et gardé à vue quelques heures, puis menacé d'être gardé en prison pour lui faire avouer où étaient imprimés les tracts qu'il transportait.

Même si depuis vendredi en Slovaquie - samedi en pays tchèque -, la rediffusion par la télévision et la radio nationales a énormément joué dans le sens d'une libéralisation des esprits ; encore maintenant, dans de nombreux villages, les habitants restent cloués par la peur, surtout les plus agés, ceux qui ont connus 1968 et refusent tout contact avec l'extérieur. Témoin, ces vieilles dames, à Laksarska Novà Ves, qui refusaient les tracts que leur donnaient les étudiants. C'est finalement le curé de la paroisse qui les prendra et diffusera aux paroissiens. L'Eglise qui joue le rôle, dans ces populations très croyantes, de "décrispation des esprits". La lecture en chaire dans tout le pays du discours de Monseigneur Tomasek et l'exposé des principales revendications ont permis d'aller dans ce sens. Car comme le souligne un des plus célèbres chanteurs de Tchécolovaquie, Jozo Raz, leader du groupe Elan, "l'esprit a ici plus souffert que le ventre" et d'ajouter "tous veulent le changement, mais tous n'agissent pas, car la peur règne encore. Pavel un étudiant de médecine de Bratislava, poursuit "le système communiste est conçu de telle façon qu'il impose un système absolu de pression sur les esprits, par un mécanisme qui s'apparente à une véritable mafia".

Cette peur est savamment entretenue par certains responsables locaux du parti communiste ou des mairies qui ne tiennent que peu compte des changements intervenus dans la capitale et font pression sur la population. Même, à quelques kilomètres de Bratislava, la capitale de la Slovaquie, le maire a ainsi empêché la population de se rassembler et d'écouter les étudiants venus de Bratislava. Un des responsables a même diffusé sur les amplificateurs dans la rue un appel à la méfiance… envers les manifestants. Plus à l'est, à Namestovo dans la région d'Orava, une des plus pauvres du pays, des soi-disant "juristes" se promènent dans la ville et conseillent aux gens de "ne pas parler aux étudiants car c'est interdit par la loi et ils risquent de graves ennuis". La milice ouvrière, qui n'a d'ouvrière que le nom, est même intervenue dans les usines pour interdire tout contact entre les travailleurs et les étudiants. Passant outre, ceux-ci ont tenu meeting dans la rue, rejoint en cela par de nombreux travailleurs.

(article paru dans le Quotidien de Paris)
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1 décembre 1989 5 01 /12 /décembre /1989 23:57
(Prague - Bratislava) Depuis plusieurs jours, l'histoire subit un sacré coup d'accélérateur à l'est, notamment en Tchécoslovaquie. Dans ce mouvement, les étudiants des deux 'capitales' du pays, Prague et Bratislava ont joué un rôle majeur. Projecteur sur les facs de médecine.

(article paru dans Impact médecin, décembre 1989)


"Le 16 novembre, veille de la journée internationale étudiante" racontre Pavel, étudiant en médecine à Bratislava, "commence une manifestation dans notre ville, regroupant environ 250 étudiants. La police nous a contrôlés, mais n'est pas intervenue. Surpris par notre initiative, les policiers se regardaient et se demandaient: comment est-ce possible ?". A Prague par contre, le lendemain, la police est intervenue brutalement, faisant 70 blessés, dont plusieurs graves. Ces faits, présentés à la télévision et la radio comme "la mise au pas de hooligans", ont décidé les étudiants à agir. Très vite, dès le lundi 20, les étudiants se mettent en grève et un comité de coordination regroupant l'ensemble des facultés du pays est constitué. Les enseignants dans la majorité les soutiennent ; mais beaucoup ont vécu 1968, se souviennent, pronent la modération. De fait cette "révolution" s'avère très sage. Trois tâches essentielles occupent alors les étudiants de médecine : informer, prévoir, réfléchir. Les universités de médecine occupées ne désemplissent plus.

Une nouvelle vie s'est installée, rythmée par les conférences, les débats et la préparation des manifestations. Un hotel a même été installé pour les étudiants résidant loin du centre. Dans la cellule d'information - le nerf de la guerre -, machines à écrire et ronéos tournent quasiment jour et nuit pour imprimer communiqués, tracts et le journal de la faculté, que des équipes d'étudiants partent ensuite distribuer dans les coins stratégiques de la ville, ou dans les universités et comités de grève des villes voisines. Une organisation de secours des étudiants en médecine, a même été mise en place… au cas où. En liaison permanente radio avec le service de secours officiel, elle compte 300 membres. Car tous les jours, une manifestation rassemble à Prague pendant plusieurs heures, des miliers de personnes dans le froid. Et boissons chaudes et soins sont alors bienvenus. Le comité central de la Croix-Rouge tchécoslovaque contacté a refusé son concours - liens gouvernementaux obligent !  - , interdisant même aux équipes étudiantes de porter le brassard des conventions de Genève… Malgré cela, des comités locaux et des initiatives individuelles ont permis de doter les étudiants en matériel, trousses de secours, et même brassards ou drapeaux à Croix-Rouge. A Bratislava, le poste de secours permanent installé à la coordination des étudiants ne chôme pas, la plupart des étudiants ayant, aussi peu dormis que mangés.

La troisième tâche des étudiants concerne la réflexion sur leur devenir. Car leurs revendications portent tout autant sur leurs études que les problèmes de société. Le caractère forcément marxiste de l'éducation fait l'unanimité contre lui. Les étudiants ne veulent plus consacrer énergie et temps aux cours de politique ou d'économie marxistes…. Ce d'autant plus que ces matières sont notées pour le passage dans l'année supérieure. De même, l'enseignement obligatoire du russe est critiqué : "pas nécessaire pour nous, car nous l'utilisons pas. Nous préférerions apprendre des langues plus utiles, l'anglais, l'allemand". La qualité de l'enseignement est le second sujet de mécontentement, "trop théorique, pas assez pratique. Avec la même durée d'études - six ans - on pourrait apprendre davantage et mieux". Les étudiants ne trouvent pas tous les professeurs au niveau, pas seulement d'un point de vue personnel mais "parce qu'il n'ont pas assez de temps pour l'éducation à coté de leurs patients à l'hopital". Il faut dire que pour être professeur en université, l'appartenance au parti communiste est fortement recommandée. L'obligation de service militaire pour les garçons est également contestée : en effet, en quatrième et cinquième année d'études, l'étudiant doit consacrer un jour par semaine à l'éducation militaire. A la fin de ses études, il devra effectuer en plus, souvent à l'autre bout du pays, un an dans les casernes. De quoi oublier tout… La Tchécolovaquie étant un pays surmédicalisé (cf encadré), les étudiants veulent… une sélection, fondée non sur des critères de protection ou d'appartenance au Parti mais sur des critères de connaissances. Enfin, ils veulent également être représentés à la direction des universités et voir reconnaître l'inviolabilité des facultés par la police. Les étudiants rejoignent ici les réoccupations exprimées par le Forum civique, l'organisation regroupant toutes les forces d'opposition, pour davantage de démocratie et de libertés politiques…

Le système de santé

En Tchécolovaquie, il n'y a pas un ministre de la santé, il y en a deux : un tchèque et un slovaque, car le pays est une fédération de deux Etats. Malgré cette particularité, le système de santé est, comme dans tous les pays de l'est, public et gratuit. Les hopitaux sont classés en trois niveaux : locaux, régionaux et universitaires. Seuls ces derniers disposent de toutes, ou presque, les spécialités et d'équipements lourds. Mais ces équipements sont souvent vieux et obsolètes. Les médecins sont payés par l'état, et répartis  en secteurs. Les malades devant obligatoirement consulter le médecin de secteur - "médecin de premier contact" - où ils travaillent, et être hospitalisé dans celui où ils habitent. Les membres de la Nomenclatura bénéficient d'hopitaux spécifiques. Ce tabou vient d'être levé. Une clinique en construction à grands frais, dans le 5e arrondissement de Prague, vient d'être devant les protestations, reconvertie en institut d'analyse. Les cliniques fonctionnant déjà seront réaffectés prochainement, mais le problème se pose de savoir en quoi. Par contre, aucune ouverture au privé n'a été ni faite, ni prévue. Tous ne le souhaitent pas d'ailleurs. Selon un observateur averti, "la privatisation n'apportera rien de plus. Ce sera encore pire pour tous, car les gens devront, et voudront, prélever sur le strict nécessaire pour payer le médecin. Ce système ne profitera qu'aux privilégiés.

Le vrai problème, c'est que les moyens consacrés à la santé sont insuffisants. La santé comme l'éducation ne reçoivent que les miettes du budget de l'Etat. Nous avons le plus grand nombre de médecins par habitants, 1/284, un des plus forts taux au monde avec Israël ; mais nous sommes prolétarisés… Nous voulons travailler comme des hommes libres. Le salaire est si petit (en moyenne 3000 couronnes*, soit près de deux fois moins qu'un ouvrier des mines) que le médecin occupé à satisfaire son budget familial et… choisit parmi les malades ceux qui sont spécialistes, plombiers…, et qui pourront faire quelque chose pour lui !". Dans les hopitaux, le manque de lits est criant, car "ouvrir un lit coute plus cher - environ un million de couronnes* que former un médecin. Aussi on ne peut parfois placer un patient car il n'y a pas assez de lits". L'approvisionnement en matériel médical a atteint un point critique, même si l'augmentation du budget de la santé (de 4 à 6,3%), récemment effectuée à la faveur d'une diminution des dépenses d'armements, a sensiblement amélioré certains secteurs (ex: seringues à usage unique). Mais pour les médicaments, les hopitaux sont alimentés irrégulièrement. Plus régulier est la liste de médicaments à ne pas prescrire, car pas diponibles. On comprendra ainsi que la situation sanitaire de la population n'est pas excellente. Selon des chiffres publiés dans "Ochranca prirody", journal de la protection de la nature, la Tchécolovaquie est en Europe au dernier rang pour la mortalité masculine, avant-dernier pour les femmes ; au dernier rang pour la mortalité infantile (7e en 1962, 17e en 1977) !  

* 1 couronne = 30 cts change réel (70 cts change officiel).
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1 décembre 1989 5 01 /12 /décembre /1989 03:02
Fer de lance de l'opposition, les étudiants sont avec les acteurs, "sur la brèche" depuis le 17, date de leur dispersion brutale par la police à Prague. La grève déclenchée le lundi 20, continue cependant toujours aujourd'hui. Car à coté des revendications pour la démocratie et les libertés politiques, leur avenir n'est pas assuré. Dans les universités occupées, débats ouverts à tous, conférences et activités de grève… se succèdent de façon ininterrompue du matin au soir. L'emprise du Parti sur le contenu des études, la carrière des professeurs, les cours d'idéologie obligatoires, et le monopole de l'organisation des jeunesses socialistes… sont au centre des critiques, de même que les conditions d'études. La part de budget consacrée à l'éducation est un des plus faibles d'Europe. L'équipement des universités est pauvre, peu de photocopieurs ou d'informatique. Les étudiants ne peuvent vivre qu'avec l'aide fincière des parents…etc… Si la majorité des enseignants soutient ces revendications ; certains se souviennent, et préfèrent s'abstenir de toute publicité… la peur.

Dans chaque faculté, un comité de grève, constitué des éléments les plus dynamiques, règle les problèmes quotidiens d'organisation. Un centre de coordination siège 22h/24 dans les deux capitales : Prague et Bratislava (l'éducation étant depuis 1968 décidée au niveau régional), le tout coordonné par un comité fédéral à Prague. Une structure interne de soins est assurée par les étudiants en médecine, malgré le refus d'aide du comité central de la Croix-Rouge tchécoslovaque. Sage "révolution" tout de même, qui invite à dénoncer les incitations à la violence à … la police !  Police qui collabore parfois à la discipline instaurée, avec succès, puisque aucun incident grave n'est à déplorer - la criminalité ayant même baissé en Slovaquie de 75% !  Le nerf de la "guerre" reste pourtant l'information. Machines à écrire, ordinateurs et ronéos tournent quasiment jour et nuit pour imprimer journaux et tracts, diffusés ensuite dans tous les lieux stratégiques. Signant la faillite du système d'éducation communiste, "ce mouvement - déclare le doyen TICHY, exclu de l'enseignement depuis 1969 - est un vrai miracle; ce que nous, les vieux, n'avons pu réalisé, nos enfants l'ont fait. Ils ont eu assez de courage pour sortir dans la rue exprimer leurs idées"…

(article paru dans le Quotidien de Paris, 1er décembre 1989)

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30 novembre 1989 4 30 /11 /novembre /1989 20:14
(paru dans Impact médecin, 30 novembre 1989)
 

Depuis plusieurs jours, l'histoire subit un sacré coup d'accélérateur à l'est, notamment en Tchécoslovaquie. Dans ce mouvement, les étudiants des deux 'capitales' du pays, Prague et Bratislava ont joué un rôle majeur. Projecteur sur les facs de médecine.

"Le 16 novembre, veille de la journée internationale étudiante" racontre Pavel, étudiant en médecine à Bratislava, "commence une manifestation dans notre ville, regroupant environ 250 étudiants. La police nous a contrôlés, mais n'est pas intervenue. Surpris par notre initiative, les policiers se regardaient et se demandaient: comment est-ce possible ?". A Prague par contre, le lendemain, la police est intervenue brutalement, faisant 70 blessés, dont plusieurs graves. Ces faits, présentés à la télévision et la radio comme "la mise au pas de hooligans", ont décidé les étudiants à agir. Très vite, dès le lundi 20, les étudiants se mettent en grève et un comité de coordination regroupant l'ensemble des facultés du pays est constitué. Les enseignants dans la majorité les soutiennent ; mais beaucoup ont vécu 1968, se souviennent, pronent la modération. De fait cette "révolution" s'avère très sage.

Trois tâches essentielles occupent alors les étudiants de médecine : informer, prévoir, réfléchir. Les universités de médecine occupées ne désemplissent plus. Une nouvelle vie s'est installée, rythmée par les conférences, les débats et la préparation des manifestations. Un hotel a même été installé pour les étudiants résidant loin du centre. Dans la cellule d'information - le nerf de la guerre -, machines à écrire et ronéos tournent quasiment jour et nuit pour imprimer communiqués, tracts et le journal de la faculté, que des équipes d'étudiants partent ensuite distribuer dans les coins stratégiques de la ville, ou dans les universités et comités de grève des villes voisines.

Une organisation de secours des étudiants en médecine, a même été mise en place… au cas où. En liaison permanente radio avec le service de secours officiel, elle compte 300 membres. Car tous les jours, une manifestation rassemble à Prague pendant plusieurs heures, des miliers de personnes dans le froid. Et boissons chaudes et soins sont alors bienvenus. Le comité central de la Croix-Rouge tchécoslovaque contacté a refusé son concours - liens gouvernementaux obligent ! - , interdisant même aux équipes étudiantes de porter le brassard des conventions de Genève… Malgré cela, des comités locaux et des initiatives individuelles ont permis de doter les étudiants en matériel, trousses de secours, et même brassards ou drapeaux à Croix-Rouge. A Bratislava, le poste de secours permanent installé à la coordination des étudiants ne chôme pas, la plupart des étudiants ayant, aussi peu dormis que mangés.

La troisième tâche des étudiants concerne la réflexion sur leur devenir. Car leurs revendications portent tout autant sur leurs études que les problèmes de société. Le caractère forcément marxiste de l'éducation fait l'unanimité contre lui. Les étudiants ne veulent plus consacrer énergie et temps aux cours de politique ou d'économie marxistes…. Ce d'autant plus que ces matières sont notées pour le passage dans l'année supérieure. De même, l'enseignement obligatoire du russe est critiqué : "pas nécessaire pour nous, car nous l'utilisons pas. Nous préférerions apprendre des langues plus utiles, l'anglais, l'allemand". La qualité de l'enseignement est le second sujet de mécontentement, "trop théorique, pas assez pratique. Avec la même durée d'études - six ans - on pourrait apprendre davantage et mieux". Les étudiants ne trouvent pas tous les professeurs au niveau, pas seulement d'un point de vue personnel mais "parce qu'il n'ont pas assez de temps pour l'éducation à coté de leurs patients à l'hopital". Il faut dire que pour être professeur en université, l'appartenance au parti communiste est fortement recommandée.

L'obligation de service militaire pour les garçons est également contestée : en effet, en quatrième et cinquième année d'études, l'étudiant doit consacrer un jour par semaine à l'éducation militaire. A la fin de ses études, il devra effectuer en plus, souvent à l'autre bout du pays, un an dans les casernes. De quoi oublier tout… La Tchécolovaquie étant un pays surmédicalisé (cf encadré), les étudiants veulent… une sélection, fondée non sur des critères de protection ou d'appartenance au Parti mais sur des critères de connaissances. Enfin, ils veulent également être représentés à la direction des universités et voir reconnaître l'inviolabilité des facultés par la police. Les étudiants rejoignent ici les réoccupations exprimées par le Forum civique, l'organisation regroupant toutes les forces d'opposition, pour davantage de démocratie et de libertés politiques…

 

Le système de santé : insuffisant

En Tchécolovaquie, il n'y a pas un ministre de la santé, il y en a deux : un Tchèque et un Slovaque, car le pays est une fédération de deux Etats. Malgré cette particularité, le système de santé est, comme dans tous les pays de l'Est, public et gratuit. Les hôpitaux sont classés en trois niveaux : locaux, régionaux et universitaires. Seuls ces derniers disposent de toutes, ou presque, les spécialités et d'équipements lourds. Mais ces équipements sont souvent vieux et obsolètes. Les médecins sont payés par l'état, et répartis en secteurs. Les malades devant obligatoirement consulter le médecin de secteur - "médecin de premier contact" - où ils travaillent, et être hospitalisé dans celui où ils habitent.

Les membres de la Nomenklatura bénéficient d'hôpitaux spécifiques. Ce tabou vient d'être levé. Une clinique en construction à grands frais, dans le 5e arrondissement de Prague, vient d'être devant les protestations, reconvertie en institut d'analyse. Les cliniques fonctionnant déjà seront réaffectés prochainement, mais le problème se pose de savoir en quoi. Par contre, aucune ouverture au privé n'a été ni faite, ni prévue. Tous ne le souhaitent pas d'ailleurs. Selon un observateur averti, "la privatisation n'apportera rien de plus. Ce sera encore pire pour tous, car les gens devront, et voudront, prélever sur le strict nécessaire pour payer le médecin. Ce système ne profitera qu'aux privilégiés.

Le vrai problème, c'est que les moyens consacrés à la santé sont insuffisants. La santé comme l'éducation ne reçoivent que les miettes du budget de l'Etat. Nous avons le plus grand nombre de médecins par habitants, 1/284, un des plus forts taux au monde avec Israël ; mais nous sommes prolétarisés… Nous voulons travailler comme des hommes libres. Le salaire est si petit (en moyenne 3000 couronnes*, soit près de deux fois moins qu'un ouvrier des mines) que le médecin occupé à satisfaire son budget familial et… choisit parmi les malades ceux qui sont spécialistes, plombiers…, et qui pourront faire quelque chose pour lui !". Dans les hopitaux, le manque de lits est criant, car "ouvrir un lit coute plus cher - environ un million de couronnes* que former un médecin. Aussi on ne peut parfois placer un patient car il n'y a pas assez de lits".

L'approvisionnement en matériel médical a atteint un point critique, même si l'augmentation du budget de la santé (de 4 à 6,3%), récemment effectuée à la faveur d'une diminution des dépenses d'armements, a sensiblement amélioré certains secteurs (ex: seringues à usage unique). Mais pour les médicaments, les hopitaux sont alimentés irrégulièrement. Plus régulier est la liste de médicaments à ne pas prescrire, car pas diponibles. On comprendra ainsi que la situation sanitaire de la population n'est pas excellente. Selon des chiffres publiés dans "Ochranca prirody", journal de la protection de la nature, la Tchécolovaquie est en Europe au dernier rang pour la mortalité masculine, avant-dernier pour les femmes ; au dernier rang pour la mortalité infantile (7e en 1962, 17e en 1977) !

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28 novembre 1989 2 28 /11 /novembre /1989 03:15
(papier pour Kiss Fm radio, 1989) Je suis en Tchécoslovaquie depuis jeudi soir. Ce qui m'a le plus frappé, c'est le retournement dans la mentalité des gens le lendemain, quand on a annoncé la démission du bureau politique. C'était le première victoire de l'opposition. Tout un peuple tout d'un coup a repris confiance en lui, en se disant,"et si c'était possible". Et spontanément malgré la manifestation déjà de l'après-midi, les gens sont ressortis, se sont rassemblés, s'embrassaient. Les voitures passaient en pleine rue en klaxonnant, drapeau au vent. S’il y a une image que je garderais de ces moments en Tchécoslovaquie c'est bien celle-là. L'extraordinaire aussi de la situation actuelle, c'est qu'en à peine dix jours, depuis le 17 exactement, depuis la charge brutale de la police contre les étudiants, la population a su trouver une sagesse d'organisation. Certes tout n'est pas encore professionnel", comme se plaisent à le souligner les responsables du forum civique, l'organisation d'opposition. Mais chacun s'est réparti la tâche. Etudiants en médecine ont organisé leur propre service de secours, ceux de l'université d'art s'occupent des affiches, des photos… La solidarité avec la population joue pleinement son rôle. Je crois que deux choses ont énormément joué dans ce sens d'une libéralisation des esprits. La rediffusion par la télévision et la radio nationales dès dimanche, et la diffusion dans les théâtres, les universités, et même dans la rue de la vidéo tournée le jour même des évènements du 17 novembre par les étudiants. J'ai été à une de ces projections à Prague. Je peux vous dire d'une part, que chaque séance était bondée et que les spectateurs ressortaient plus déterminés que jamais. Mais sans violence. car si un seul mot caractérise la véritable révolution qui tous les jours se produit ici, c'est bien celui de sage.
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logo_ouestfrancefr.pngL'éditeur : Nicolas Gros-Verheyde. Journaliste, correspondant "Affaires européennes" du premier quotidien régional français Ouest-France après avoir été celui de France-Soir. Spécialiste "défense-sécurité". Quelques détails bios et sources.